« Cette fois-ci, la montagne en travail n'a pas simplement accouché d'un « ridiculus mus ». Le fruit de la longue et déprimante élaboration intellectuelle du Conseil Municipal se présente sous la forme d'un vaste bâtiment atteint d'éléphantiasis et que, dès le premier jour, l'on a baptisé du nom de « Patronage Laïque »

                Le voyez -vous d'ici avec sa façade superbe , n'est-ce pas Mr le Maire ? Avec cette porte d'entrée qui n'appartient à aucun style – si- au style rococo de bien des établissements modernes – et savez -vous que cette merveille architecturale dont pourra désormais s'enorgueillir toute la ville de Pont L'Abbé a dû pour naître, trouver la coquette somme de cent mille francs dans son berceau?

                C'est beaucoup, direz -vous. Pauvres petits, va. Vous ignorez donc que pour la cause laïque – la Grande Cause celle-là !- rien n'est suffisant, qu'il n'y a jamais assez, mais toujours trop peu.

                Donc Pont L'Abbé possède – ô bonheur ineffable – un « Patronage Laïque » .  « Ce sera le plus beau monument de notre ville » me disait l'autre jour M. X..... , et il avait dans la voix un tremblement ému de fierté, en songeant que dans cette œuvre – un peu sienne- son nom sera immortalisé.

                Certes, pour qui a vu le nouveau local, le doute est impossible. L'église, ce foyer d'obscurantisme, où l'on s'éclaire encore avec de pauvres lumignons de cire; l'église, cet antre ténébreux où vit l'homme noir, où le clan des chrétiens adore son

« tabou », l'église ne peut être un beau monument parce que c'est …. l'église.

                Le château est trop vieux, lui, pour valoir quelque chose et c'est un bonheur suprême qu'on lui a fait en lui permettant d'abriter M. le Maire et tous ces Messieurs du Conseil.

                Alors, il ne reste plus que lui, le Nouveau- Né. La preuve en est faite, ne discutons plus. Inscrivons, si vous le voulez bien, sur sa tête altière; ces mots glorieux pour la Laïcité : « Ci-gît le plus beau monument de Pont L'Abbé »

                Où plutôt, c'est ce que l'on inscrira , dans un jour prochain, au jour supra-solennel où l'on baptisera- laïquement parlant – bien entendu- ce petit enfant « kolossal »  Je vois d'ici la scène.

                Dans un déploiement grandiose d'oriflammes multicolores, sous un soleil – celui d'Austerlitz – qu'auront fait surgir dans le cel, les Dieux laïques, tout Pont L'Abbé se lèvera pour saluer , avec un enthousiasme au moins délirant, les Pontifes accourus pour la « Grande Cérémonie » . A travers les rues jonchées de fleurs, au son des cithares, des lyres comme au temps du roi Nabuchodonosor, la procession laïque défilera, frénétiquement acclamée. Le « Patronage » sera baptisé au milieu d'une pompe indescriptible. Dans les coupes scintillantes, le champagne coulera à pleins bords. La religion nouvelle sera exaltée. Ce sera le Triomphe de la Laïcité. Ce sera beau  et au soir de ce Grand Jour, chacun de ceux qui auront contemplé cette fête sans pareille, s'écrieront comme l'ancien : « Après cela, j'ai assez vécu ».

 

                                                                                                                                                    PHEDOLA

 

                                                                                                                                              Le Progrès du Finistère

                                                                                                                                               ( samedi 2 avril 1927)

 

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